Nerval, la parole a double tranchant. Le theatre et le temple, ou l'ironie du litteraire

Il y a une ironie litteraire incontestable dans l'oeuvre de Gerard de Nerval, mais aussi une ironie du litteraire. A une epoque ou la litterature romantique, heritiere de la religion deliquescente, s'investit d'une mission spirituelle, cette ironie reflexive vise le statut de l'ecrivain et la condition du fait litteraire dans leurs antinomies et ambivalences. Elle se donne a lire a travers une bipolarite symbolique a l'ceuvre chez Nerval, le " theatre " et le " temple ". Tantot enthousiaste, tantot ironique, le portrait nervalien du poete ballotte entre deux figures contradictoires, l'architecte du temple et le comedien. Une tension irreductible entre le " theatre " et le " temple " habite egalement la litterature selon Nerval. A la denonciation des modalites mimetiques derisoires d'une litterature- " theatre " fait pendant la recherche d'une litterature-" temple ", lieu possible d'une communication efficace, d'une presence vivante et d'une verite. L'exigence enthousiaste de " bruler le theatre " s'accompagne neanmoins de la conscience ironique de son impossibilite. S'etant concue un instant comme eventuel "temple " de substitution d'une humanite nouvelle, la litterature ne parvient pas a exceder reellement sa nature intrinseque de " theatre ". Reflexive et ambivalente, l'ironie nervalienne rejoint le modele de l'ironie concu par Friedrich Schlegel, ou le doublet enthousiasme/critique de l'enthousiasme s'ajoute a la dimension reflexive d'une oeuvre qui problematise son statut et celui de son createur. Elle releve ainsi d'une interrogation du romantisme sur la litterature, souvent accomplie a travers l'ironie qualifiee plus tard de "romantique ".